Extrait du livre L'Éloge du moment (p. 21 à 26)

 

Charles Rousselet est un contemplateur.

 

Et sa contemplation, sereinement, patiemment menée à son achèvement — la toile enfin cernée de cette fine baguette noire qui lui permet de s'offrir à nous — procure au spectateur un apaisement qui étonne et séduit.

 

Rien du domaine du doute : Rousselet croit, — à son art, au bonheur d'être vivant et d'en témoigner, au plaisir et à la nécessité du partage...

 

Ce partage, il en fait une vocation : la beauté du monde... — un monde à la fois simple et complexe, aussi bien un infini où l'esprit se perd qu'un espace consciemment clos et recréé —, et l'instant qui s'offre et éblouit... sont alors saisis dans leur étonnante interaction par l'artiste qui en révèle sur la toile la globalité et l'éternité sereine.

 

À vrai dire, si l'on doit faire des parallèles avec d'autres univers, parallèles qui expliquent la genèse d'un art sans en révéler tout les ressorts, tant sa démarche est singulière dans son apparent classicisme et également plurielle dans son inspiration, rien de l'interrogation ou de l'inquiétude d'un Hopper — que l'on redécouvre curieusement en ce début d'un nouveau siècle marqué par le doute et la confusion des idées —, rien du détachement onirique d'un Cremonini,  ou de la légèreté un peu naïve d'un Brianchon...

 

Cet « apparent » classicisme du traitement pictural, cette « réactualisation singulière et en douceur de la tradition picturale figurative », revendiqués par l'artiste lui-même, sont à la base de son travail : ne cherchons pas dans Rousselet la volonté de créer un style, encore moins une école. Il n'y a pas, dans la peinture de Rousselet, de volonté de séduire, d'artifice (hormis celui d'une certaine malice au détour de quelques œuvres...), de tentative d'impressionner par une quelconque maestria picturale (quoique les preuves de sa maîtrise sont évidentes...).

 

Son œuvre, patiemment construite autour de thèmes intimistes, voire minimalistes — ne se privant pas d'incursions dans ce qu'on appelle à tort la « nature morte », ou bien même le paysage —, séduit par ses sujets, multiples dans leur choix, leur ordonnancement sur la toile, leur rapport au réel... mais aussi, et c'est là tout ce qui nous retient : il s'en exprime une incroyable « communauté » d'évocation émotionnelle, l'apaisement d'un monde — son monde — unique, recréé, révélé...

 

Quel lien (d'émotion, s'entend) peut faire se « rencontrer » une nature morte au dénuement déconcertant, comme Drapés complémentaires, et une scène d'intérieur à la sérénité palpable, Les Tulipes ? La beauté qui s'en dégage ? La maîtrise de la composition ? La technique picturale ? L'aveu d'une tradition revendiquée, mûrement et consciemment retravaillée ? Ou la confidence d'une empathie profonde avec le monde et les objets, qu'il retranscrit et transcende, et nous fait partager ? La réponse est certainement en l'artiste lui-même...

 

Un univers en soi, donc, qu'on pourrait presque qualifier de « zen », s'il n'était si purement et sympathiquement relié à notre tradition occidentale, nullement anecdotique (l'anecdote, comme une scène extraite à un moment donné du réel et méritant a priori attention, n'y est pas présente), ni posant de lancinante question : Rousselet est un questionneur, certes, mais la question est contemplative, dénuée d'inquiétude ou de ressentiment, calme et confiante, et elle contient en elle-même sa réponse. Tout y est simple, réconciliant avec le monde, les courants contraires de la vie, les dédales de l'esprit. Tout s'offre comme une évidence, un compliment, un cadeau sans arrière-pensée, ingénu et calme.

 

L'éloge du moment : comme si la capture et l'appropriation pleine d'amour du moment présent, de l'instant unique et parfait, était la réponse à toutes les questions...

 

                                        Yves Leboucher