Préface au livre Petit précis de rhétorique
Ce petit opuscule n’a aucune prétention. Ou plutôt, si l’on veut bien pardonner à l’auteur peu original de ce maigre ouvrage de se moquer de lui-même, on dira qu’il n’a que celle de l’avoir diverti... Grand amateur de dictionnaires, et en particulier de mots anciens, inusités ou « perdus », il en croisa quelques-uns au cours de ses pérégrinations alphabétiques... et les termes qualifiant les figures de style et les procédés rhétoriques, si savoureux dans leur boursouflure terminologique, leur complexité, leur sémantique tarabiscotée, lui plurent tout de suite.
Et il se mit à les collectionner... sans vergogne, sans arrière-pensée, sans but aucun sinon, au départ, d’en coucher les termes les plus plaisants, à la mine de plomb, sur une feuille de papier vite cachée sous d’autres « mémoires » plus pressants. Et puis, en trouvant d’autres encore plus bizarres ou étonnants, il fouillait derechef dans ce fatras pour en allonger la liste...
Compilation, donc, à l’instar d’un Isidore de Séville ou d’autres saints littérateurs anciens — ou, un peu plus près de nous (citation non dénuée de malice, son nom ressemblant trop à un terme de rhétorique !) d’un Syméon Métaphraste — pour qui la « récupération », l’accumulation de savoirs, puis leur « recyclage », leur remise en forme (voire au goût du jour) et leur commentaire en les accommodant à leur sauce, étaient la base du fond de commerce.
Puisque liste il y avait, notre compilateur, maintenant fort engagé dans cette affaire, s’est dit qu’après tout, autant qu’elle soit la plus complète possible (le rêve d’exhaustivité !), et qu’elle serve à quelque chose (à d’autres curieux ?) en y donnant, de plus, le sens, et pourquoi pas quelques exemples (hardiment pillés)... Et de mettre son nez dans un tas d’ouvrages de stylistique, d’analyse de textes, de rhétorique... afin de compléter sa récolte et de l’expliciter !
La « genèse » de cette démarche singulière étant évoquée, nous en arrivons au sujet lui-même : à quoi servent la rhétorique et la stylistique ?... pourquoi qualifier et classer les figures du discours ou les figures de style ?... que nous importe de savoir que « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes... » (vers fameux de Racine) est une allitération...sinon à des fins d’analyse de texte ? C’est la Rhétorique, discipline antique, tradition oratoire, et la Poétique (qu’on appelait autrefois Seconde Rhétorique), qui sont à l’origine des principales figures du discours et d’ornementation du texte. La libération du style, au cours des âges, et la mise à l’écart de l’art oratoire, ont donné naissance à la stylistique moderne ( stylistique de la langue et stylistique littéraire) qui étudie les particularités d’écriture d’un texte, et en particulier ce qu’on appelle les figures de style.
« Les connaître par leurs définitions ne sert pas seulement à l’analyse littéraire ; elles constituent en effet un système immanent à toute la culture [...] », plaide Bernard Dupriez 1. Ainsi, sont toujours bien d’actualité —à l’heure où la langue française subit des assauts et des dommages de toute part (pour certains), ou évolue tout naturellement (pour d’autres) —, « l’art du discours et de la mise en forme des signifiés dans l’énonciation » 2 et son arsenal de figures et d’ornementations bien identifiés. Molinié parle, avec humour, d’« un stock suspect d’outillages disqualifiés » (ce qui amène de l’eau au moulin de l’auteur de ce précis)... mais affirme plus loin que «la rhétorique est consubstantielle à toute pratique sociale, à tout langage en action » 3.
Pour terminer et rejoindre le commencement de cet avant-propos, admettons avec Dupriez 4 que « la terminologie ancienne garde, par ailleurs, quelque chose d’attrayant : “ce sont mots de métier, légèrement exotiques, étranges (on dirait féeriques), écrit Paulhan”. »
Voila donc le fruit d’un strict travail de collectionneur, une somme empruntée à d’autres plus savants que lui dont il espère n’avoir pas trahi la science, voulant en faire un précis, c’est-à-dire court, concis et pratique 5. La saveur de tous ces mots — métalepses, épanadiploses, hypotyposes et autres aposiopèses— n’en est que plus prégnante, mis à nu qu’ils sont, ainsi décortiqués, avec leurs rapports ou leurs oppositions respectives, leurs liens parentaux... formant un ensemble fort et tellement important pour le développement et le rayonnement de notre belle langue française.
Yves Leboucher
1. Introduction de Gradus — Les procédés littéraires, Bernard Dupriez, Union Générale d’Éditions, 1984.
2. Préface du Dictionnaire de rhétorique, Georges Molinié et M.Aquien, Librairie Générale Française, 1999.
3. Id., ibid.
4. Bernard Dupriez, op. cit.
5. Précis, n.m. : Sommaire de ce qu'il y a de principal dans une affaire, dans un livre. Le précis d'une affaire. Le précis se distingue par sa rigueur ; il signifie un abrégé dans lequel ne se trouve rien de superflu ; l'abrégé est court ; mais le précis est substantiel. Aussi peut-on dire : j'ai fait l'abrégé et le précis de ce livre.(Littré)