Postface au livre Flous de nature

 

Petit essai sur la diapositive 24x36

 

 

      Le format 24x36, popularisé par le Leica, est développé ensuite par Eastman Kodak, avec la cartouche jetable, puis par de constantes améliorations de qualité : ce sera le Kodachrome, puis l'Ektachrome, dès le début des années 1940.

 

      Cette « petite fenêtre  » ouverte sur le monde, l'encadrant, au sens le plus parfait de cadre protégeant une œuvre, la mettant en valeur... ça a été, pour nous, photographes de notre génération — depuis les années 1970 que nous avons cherché à capter, nous approprier, raconter un peu du monde qui nous entoure — un formidable et attachant média de création, de représentation ou d'expression.

 

      Le pouvoir de ce petit cadre était « fini » (au sens d'aboutissement) et infini à la fois, sur ce qu'on appelait les Arts graphiques, et pas encore l'infographie : véritable « morceau » du monde, comme une magistrale captation, pièce empruntée à un puzzle, à lui tout seul œuvre d'art (ultime livraison, œuvre-objet du photographe : le reste n'était plus, au-delà, qu'artisanat, geste technique, traduction, reproduction), témoignage iconographique (pour sa représentation, l'espace ou l'instant figé), étalon ou « juge de paix » (pour les couleurs, qu'il faudrait respectueusement traduire ensuite en laboratoire ou en photogravure, diapo visionnée, l'œil rivé au compte-fil, à la température de 5500° Kelvin), « ouvrage » de photothèque (qu'il fallait amoureusement et scrupuleusement conserver à l'abri de la chaleur et de l'humidité)... la diapositive était l'objet de toutes les vénérations et toutes les attentions.

 

       Le numérique, qui a fait irruption ces dernières années, avec le succès que l'on connaît, dans la vie quotidienne, mais surtout pour nous, photographes, dans notre vie professionnelle, n'apporte pas cette magie, cet enchantement... et aussi ce rapport à la matière, à l'objet-photo, que procure la diapositive 24x36.

 

      Ses jours, pourtant, sont comptés ; le géant Kodak n'est plus que l'ombre de lui-même... Il va devenir de plus en plus difficile de s'en procurer, et de les développer... C'est ainsi.

 

      La photographie, banalisée, déconnectée de tout truchement matériel ou chimique, de toute l'attention et de tous les gestes dont on la gratifiait, de toute l'alchimie qui en faisait le charme, l'art, l'attache dans le réel ; ce qui faisait qu'elle nous émerveillait comme elle nous « apparaissait » —  la photographie, dis-je, affichage instantané et impudique sur l'écran de nos ordinateurs, prête à toutes les compromissions, maintenant « virtualisée », nous échappe...

 

                              Yves Leboucher